Une Tribune par Andre Ménache
Les essais de médicaments sur des personnes volontaires saines comme préalable aux essais sur des malades sont une invention de l’industrie pharmaceutique apparue après le procès des Médecins à Nuremberg à la fin de la Seconde Guerre mondiale1. La course pour commercialiser un vaccin contre la COVID-19 a rendu courantes les expressions « essais cliniques » et « volontaires sains ». Mais sont-elles bien comprises ? Que recouvre, au juste, le processus d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de tout nouveau médicament ou vaccin ? Avec 75 années de recul et à la lumière de nos connaissances actuelles en sciences du vivant, ne serait-il pas temps de revoir cette stratégie ?
Il faut savoir que des lois inspirées par les conclusions du procès des Médecins imposent tout d’abord de tester sur des animaux tout candidat médicament destiné à l’homme. Ces tests sont appelés « précliniques ». Lors de leur dernière étape, ils sont pratiqués sur au moins deux espèces d’animaux, le plus souvent un rongeur (le rat, par exemple) et un non rongeur (le chien ou le singe).
Si les deux espèces tolèrent bien le nouveau médicament, ces données sont soumises à l’autorité de réglementation en vue d’obtenir la permission de procéder aux premiers essais “cliniques” (c’est-à-dire sur l’homme). Si l’une ou l’autre des espèces animales subit de trop forts effets secondaires toxiques, le fabricant cherche une autre espèce jusqu’à ce que les données obtenues sur le rongeur et celles obtenues sur le non rongeur concordent et respectent les critères de « sûreté » du médicament.
Aussi incroyable que cela paraisse, les autorités de réglementation font confiance aux fabricants pour choisir l’espèce animale la plus « appropriée » pour tester leur candidat médicament. C’est donc sans surprise qu’il faut recevoir l’information émanant de la haute autorité de sécurité sanitaire aux États-Unis, la FDA, selon laquelle sur dix médicaments ayant passé avec succès les tests requis sur des animaux, neuf échoueront au cours des essais sur l’homme (par absence d’efficacité ou présence d’effets secondaires non identifiés chez les animaux)2. Concrètement, à quoi servent les tests précliniques sur des animaux ? En 1964, le Dr James D. Gallagher, ancien directeur de l’entreprise pharmaceutique Lederle (USA) a déclaré dans le Journal of the American Medical Association : « Les études animales sont effectuées pour des raisons juridiques et non pour des raisons scientifiques. La valeur prédictive de telles études pour l’homme est quasiment sans valeur… »3. Les “volontaires sains” sont-ils tous au courant ?
Une fois les tests sur des animaux réussis, l’essai de “phase 1” peut être autorisé. C’est ici qu’interviennent les volontaires sains. Ces participants sont en majorité des hommes blancs âgés de 25 à 35 ans, non-fumeurs, de poids et de taille moyens. Signalons ici que l’industrie pharmaceutique pratique cette sélection en sachant que, statistiquement, les hommes sont moins susceptibles de subir des effets secondaires que les femmes et que les blancs le sont moins que les représentants d’autres ethnies. Les autorités de sécurité sanitaire acceptent pourtant ces résultats soumis par le fabricant.
Après la phase 1, le médicament passe ensuite en “phase 2” (des patients qui pourront bénéficier du nouveau médicament) et ensuite en “phase 3” (un groupe de patients bien plus nombreux). Ces deux étapes visent à évaluer l’efficacité du médicament. Même après toutes ces études, il se peut que des effets nocifs soient révélés lors de l’utilisation du médicament, dûment autorisé, dans la population générale des patients. Et enfin, la “phase 4” (la commercialisation du médicament) qui incorpore la “pharmacovigilance”. Selon Kelvin Cooper, un ancien vice-président de Pfizer, le taux d’échec (suite aux effets secondaires inacceptables ou par manque d’efficacité) d’un nouveau médicament en fin de la phase 1 est de 65 %, en fin de la phase 2 de 20 % et en fin de la phase 3 de 10 %4.
Ce taux d’échec pèse lourdement sur l’industrie pharmaceutique. Pour elle, il s’agit de pertes financières. Pour les patients, il peut s’agir de pertes de capacité ou même de perte de vie, comme on l’a vu avec plusieurs scandales dont l’un des plus retentissants a été celui du Mediator.
Dans ces conditions, est-il possible de fournir à une personne (saine ou malade) qui se prête à un essai de médicament toutes les données nécessaires à ce que son consentement soit véritablement éclairé ? Rappelons que les volontaires sains sont des cobayes humains, qui risquent parfois leur vie pour mille ou deux mille euros. Il est impossible pour ces personnes de fournir un consentement éclairé “valide” vu que le nouveau médicament n’a jamais été testé sur le corps humain5. Sur le plan scientifique, en effet, un corps en bonne santé (les volontaires sains) ne peut pas prédire les effets d’un médicament sur une personne malade, comme l’atteste le taux d’échec de 65 % en fin d’essai clinique de phase 1 (pire que de jouer à pile ou face !)
Qu’en est-il des vaccins ? De même que pour les médicaments, suite aux tests sur des animaux et autres analyses, le produit sera testé en phases 1, 2 et 3, sur des volontaires. Or, nous sommes en mesure de remplacer les tests sur des animaux par des méthodes plus efficaces et plus pertinentes pour la santé humaine67, ce qui diminuerait les risques pour les volontaires sains. Nous sommes également en mesure, depuis 20 ans, de développer des vaccins plus sûrs grâce à la médecine personnalisée, ceci à condition que l’industrie pharmaceutique s’y investisse. Des disciplines telles que la « vaccinomique » et l’ « adversomique » permettraient de mettre en œuvre une politique de vaccination personnalisée tenant compte des différences génétiques entre individus avant d’exposer l’ensemble de la population à tout nouveau vaccin8. Il ne s’agit pas de science fiction. Il s’agit d’une nécessaire prise de conscience du public que de telles technologies existent et qu’elles peuvent être mises en œuvre à grande échelle dès lors que notre société, s’emparant enfin de ces informations, déciderait de se mobiliser.
Paradoxalement, la réglementation se satisfait de protocoles d’essais archaïques et hautement défectueux, alors que les technologies in vitro (organes sur puces, cultures cellulaires, microfluidique…) doivent, pour être acceptées au niveau réglementaire, viser un taux de fiabilité de 85 à 90 %. Nous sommes en mesure aujourd’hui de supprimer les tests sur des animaux requis par une réglementation qui date de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de les remplacer par les technologies du XXIe siècle dont beaucoup ont déjà fait leurs preuves. Ces technologies pourraient aussi remplacer les volontaires sains. Car enfin, si la priorité est de “d’abord ne pas nuire”, est-il acceptable de mettre en danger la vie de personnes saines pour évaluer les effets toxiques d’un candidat médicament ? Notre espoir est que l’opinion publique, une fois informée, se mobilise pour exiger de nos élus les propositions de loi nécessaires pour mettre les contraintes réglementaires en conformité avec les connaissances scientifiques actuelles.
Tribune à retrouver en ligne sur le site de l’Humanité.