Contribution du Dr. Juliane Fisher, de Dynamic42
La technologie des organes-sur-puces (OoC) représente une avancée révolutionnaire dans le domaine biomédical et de la recherche préclinique, offrant des opportunités sans précédent de répliquer la physiologie complexe des organes humains. Alors que la demande de modèles plus adaptés et plus efficaces pour les tests de médicaments, la modélisation des maladies, et pour la médecine personnalisée ne cesse de croître, on ne saurait trop insister sur l’importance d’une adoption globalisée de la technologie des OoC.
Cet article analyse l’importance générale des OoC, le besoin urgent d’adopter cette technologie, et les stratégies clés et les conditions préalables pour atteindre ce but.
Comme l’a introduit le Professeur Don Ingber dans le précédent numéro de ce magazine, les OoC sont des systèmes microphysiologiques qui imitent le tissu d’un organe humain in vitro. Les modèles traditionnels in vitro et les animaux échouent souvent lorsqu’il s’agit de représenter des compositions et des fonctions d’organes humains. La technologie des OoC comble cet écart en fournissant des données humaines pertinentes tout en réduisant potentiellement les échecs translationnels dans le développement de médicaments.
Cette technologie représente un grand potentiel pour plusieurs domaines de recherche comme la médecine personnalisée ou de précision, le développement de médicaments ou la recherche biomédicale.
Pour la médecine de précision, les modèles d’OoC permettent le développement de traitements personnalisés. Cela permet d’étudier comment l’organe ou la tumeur d’un individu répond à un médicament spécifique ou à une thérapie, avec le potentiel de façonner des traitements “sur mesure” pour chaque patient. Les modèles d’organes-sur-puces immunocompétents, en particulier, ont la capacité de contribuer aux traitements personnalisés en permettant aux chercheur·e·s d’évaluer comment le système immunitaire d’un individu répond à un médicament spécifique ou à un traitement.
En 2019 une équipe de chercheur·e·s a mis au point un modèle d’OoC pour étudier la réponse à un corps étranger. Cet outil permet d’intégrer des monocytes (globules blancs) provenant de donneurs humains afin de modéliser la réponse immunitaire à un matériau d’implantation dans le but d’identifier un matériau approprié pour le patient.
Les monocytes, les macrophages et les neutrophiles jouent également un rôle important dans le développement des tumeurs. Il est donc essentiel de développer des modèles microphysiologiques de tumeurs qui reproduisent la biologie humaine d’un patient, y compris la composante immunitaire, permettant ainsi le développement de traitements personnalisés. À cette fin, Dynamic42 établit actuellement un modèle sphéroïde-sur-puce du cancer du pancréas dérivé de patient, dans le but de cribler de nouvelles cibles thérapeutiques.
Dans le développement de médicaments, en moyenne, seulement 1 médicament potentiel sur 5000 à 10000 obtiendra l’approbation des autorités sanitaires. La raison de ce taux d’attrition élevé est en partie due à l’échec de la transférabilité des études précliniques, menées sur des cultures cellulaires 2D et sur des animaux, vers l’homme en phase clinique. Le taux d’échec est estimé à 92 % et la majorité est liée à une toxicité ou à une efficacité non détectée du médicament. L’utilisation de modèles microphysiologiques in vitro complexes s’est révélée être une alternative puissante aux tests sur les animaux, car elle fournit des données humaines pertinentes pour l’évaluation de la sécurité et des risques. Dans une étude récente, les chercheurs ont évalué les effets hépatotoxiques de l’antibiotique retiré, la trovafloxacine (Trovan), par rapport à l’analogue non toxique : la lévofloxacine. Alors que la trovafloxacine induisait des lésions hépatiques dans des modèles animaux et dans des études préliminaires in vitro avec l’ajout de stimuli inflammatoires, tels que le lipopolysaccharide, ou à des concentrations pertinentes non humaines, le modèle de foie-sur-puce a pu prédire l’hépatotoxicité à des concentrations pertinentes pour l’homme sans stimuli supplémentaires.
Figure 1 : Illustration transversale du modèle 3D du foie dans la biopuce de Dynamic42
La technologie OoC détient un potentiel important pour la recherche biomédicale. La technologie répond au besoin de modèles complexes de maladies et d’infections reproduisant l’interaction entre l’hôte et l’agent pathogène dans un environnement microphysiologique. Les OoC offrent une flexibilité considérable et un potentiel de personnalisation à la portée et aux besoins d’une étude scientifique, y compris des informations qui autrement ne seraient disponibles que dans le corps humain. Cela peut inclure les cellules immunitaires, la vascularisation, le microbiome, les agents pathogènes, la perfusion et les contraintes mécaniques pour la croissance cellulaire physiologique ainsi que les configurations multi-organes. Outre sa complexité, la technologie OoC permet une large gamme de méthodes d’analyse des modèles étudiés pendant et après l’expérimentation. Cela peut inclure l’analyse de la fonction/intégrité de certaines barrières physiologiques, du renouvellement des composés, de la consommation d’oxygène, du profilage de la libération de cytokines, de l’activité enzymatique (transport, métabolisation), de l’imagerie des cellules vivantes, de l’extraction de tissus de l’OoC pour analyser les modèles après le traitement et bien d’autres applications.
Outre les données humaines pertinentes, les modèles d’OoC représentent une véritable alternative aux modèles animaux car ils fournissent une représentation plus précise de la physiologie humaine que les modèles in vitro 2D classiques. La réduction et le remplacement des modèles animaux sont une grande motivation pour les chercheur·e·s, car les défis administratifs, les processus d’approbation longs, les coûts élevés et, surtout, les préoccupations éthiques, poussent à trouver des moyens alternatifs pour avoir accès à des données physiologiques. Bien que les coûts initiaux de mise en place et de développement puissent être élevés pour certaines technologies OoC, les avantages à long terme en termes de plus grande pertinence des données, de rationalisation des tests sur les animaux, de réduction du temps et des coûts de développement de médicaments, de réussite d’essais cliniques, d’augmentation de la sécurité des médicaments et des taux d’approbation, justifient l’investissement.
De plus, l’adoption de la technologie OoC s’aligne avec l’engagement croissant des autorités officielles sur les méthodes alternatives aux tests sur les animaux et fournit une plateforme qui répond aux normes réglementaires en évolution pour le développement de médicaments et les évaluations de sécurité.
Pour qu’une technologie connaisse un succès durable, elle nécessite une adoption généralisée par la communauté scientifique, allant au-delà de la simple phase d’adoption précoce. Compte tenu de la complexité des modèles OoC et de leur développement, l’éducation à la méthode elle-même sera essentielle pour rendre la technologie accessible à l’industrie et au monde universitaire. Cela nécessiterait son intégration dans les programmes d’études biomédicales afin de familiariser les futurs chercheur·e·s avec ses principes et ses applications. Et surtout, les chercheur·e·s de l’industrie et du monde universitaire doivent avoir accès à des cours approfondis et pratiques sur la technologie. Actuellement, il y a un véritable manque avec seulement 3 cours sur la technologie OoC dans le monde qui proposent une fréquence régulière et des travaux pratiques en laboratoire. En outre, des cours en ligne sur la technologie avec des vidéos de méthodes et des explications des protocoles faciles à comprendre peuvent également permettre aux chercheur·e·s situés dans des zones ou régions éloignées d’accéder à des informations sur cette technologie.
Pour le développement de médicaments en particulier, les changements dans la législation et les exigences en matière de tests précliniques détermineront le succès futur des modèles OoC dans ce domaine. Jusqu’à très récemment, toutes les agences réglementaires exigeaient des tests de toxicité sur les animaux pour les nouveaux médicaments avant les tests cliniques. La loi américaine FDA Modernization Act 2.0 a désormais ouvert la voie à l’utilisation d’alternatives, et les méthodes non animales sont explorées de plus en plus fréquemment dans la découverte et le développement de médicaments. L’Agence européenne des médicaments (EMA) promeut le principe des 3R en mettant en lumière les Nouvelles Méthodes d’Approche (NAM) qui sont conformes à la législation de l’Union européenne sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. Cela se fait par le biais de l’Innovation Task Force (ITF) de l’EMA, qui vise à favoriser le dialogue entre les régulateurs et les développeurs de médicaments pour discuter des aspects innovants tels que les thérapies, méthodes et technologies émergentes. L’ITF est également utilisé pour la soumission volontaire de données générées avec de nouvelles méthodes dans le cadre d’une approche dite de la « sphère de sécurité » (ou safe harbour approach).
L’incitation à développer d’autres modèles pour offrir des alternatives à une variété de modèles animaux de maladies et d’infections peut également faire une différence dans le domaine. En particulier, les subventions de recherche axées sur la technologie OoC peuvent encourager les établissements universitaires et les partenaires industriels à investir dans cette technologie. Cela permet également le développement de fonds nécessaires pour établir des normes à l’échelle de l’industrie, garantissant ainsi la cohérence et la comparabilité entre les différents modèles et laboratoires.
Figure 2 : Pertinence et points clés pour l’adoption de la technologie des OoC
Enfin, la complexité des modèles et leur capacité à réellement remplacer les modèles animaux ou autres modèles in vitro détermineront leur succès à long terme. Pour perdurer dans la recherche biomédicale et les processus de développement de médicaments, ces modèles doivent pouvoir produire des données précises et pertinentes pour l’humain. Cela nécessite que les modèles soient aussi complexes et « in vivo » que possible, incluant des fonctionnalités telles que :
La technologie des organes-sur-puce est extrêmement prometteuse pour faire progresser la recherche biomédicale, offrant des opportunités sans précédent pour la médecine de précision, réduisant les tests sur les animaux et accélérant le développement de médicaments. Cependant, parvenir à une adoption généralisée nécessite des efforts concertés. En intégrant les organes-sur-puce dans les programmes éducatifs, en créant des cours spécialisés, en plaidant en faveur de changements législatifs et en améliorant les fonctionnalités des modèles OoC, la communauté de la recherche biomédicale peut propulser cette technologie révolutionnaire vers une utilisation grand public, transformant ainsi complètement la façon dont nous étudions et comprenons la physiologie et les pathologies humaines.
Le Dr. Juliane Fischer est titulaire d’un doctorat de l’Université Friedrich-Schiller d’Iena, en Allemagne. Ses travaux de doctorat portaient sur la régulation transcriptionnelle des produits naturels chez les champignons filamenteux. En transition vers l’obtention d’un diplôme en biotechnologie, elle s’est spécialisée dans les technologies unicellulaires et microfluidiques. Développant un intérêt pour l’écriture et la présentation de données, elle a réorienté sa carrière vers le marketing, avec un accent particulier sur la rédaction scientifique. Actuellement, en tant que responsable marketing chez Dynamic42, elle se spécialise dans la technologie des organes sur puce.
Fondée en 2018, Dynamic42 GmbH est une spin-off du Centre intégré de recherche et de traitement pour le contrôle et les soins du sepsis (CSCC) de l’hôpital universitaire d’Iéna. Dynamic42 commercialise et développe des modèles d’organes sur puce/systèmes microphysiologiques humains avec des composants du système immunitaire intégrés pour la recherche et les tests de produits pharmaceutiques, de nouvelles thérapies telles que des nanoparticules, des additifs chimiques et alimentaires. Le spécialiste innovant des organes sur puce vient de lancer son nouveau système DynamicOrgan et son kit de développement.
Crédit image : Dr. Juliane Fischer, Dynamic42 GmbH, iStock amgun