L’éthologie est une science-clef car elle fait le pont entre l’humain et l’animal. Des oiseaux qui savent fabriquer des objets, des abeilles qui savent compter, mais également la détresse des animaux d’élevages, ce sont les éthologues qui apportent un regard neuf et indispensable sur le lien entre le monde animal et l’homme.
Le Professeur Jouventin, ancien Directeur de recherche au CNRS et Directeur de laboratoire public d’écologie pendant 13 ans, scientifique de terrain et spécialiste du comportement animal, sort un nouvel ouvrage (Trois prédateurs dans un salon-Une histoire du chat, du chien et de l’homme, aux édition BELIN). En présentant nos compagnons que sont les chiens et les chats, Pierre Jouventin en profite pour dresser un bilan de notre rapport avec les êtres vivants.
En lisant votre ouvrage on s’aperçoit que votre discipline, l’éthologie, fait le trait d’union indispensable entre l’homme et l’animal. Quelles sont les découvertes récentes les plus incroyables ?
Chaque mois, une découverte montre que Descartes avait tort avec son « animal-machine » qui ne sent rien et ne pense pas, alors que Darwin avait raison, il y a 150 ans, d’écrire qu’entre notre espèce et les autres, il n’y a pas une différence de nature mais de degré. Ce que l’on nommait ‘Le propre de l’homme’ a régressé chaque année et les caractères les plus spécifiquement humains comme l’intelligence, la raison, l’abstraction, la culture, l’altruisme, la morale ne sont plus des spécificités humaines (lire pour plus de détails les ouvrages de Frans de Waal ou « Kamala, une louve dans ma famille » de Pierre Jouventin chez Flammarion).
Dans votre ouvrage vous faites un lien très audacieux qui me plait beaucoup et que j’avais déjà formulé en mon for intérieur : Pourquoi aller chercher ailleurs d’autres formes de vies extraterrestres quand il y a tant d’êtres à étudier ici… Les animaux sont donc des ovnis ou encore un monde dans notre monde ?
Les sciences humaines ont toujours prôné la comparaison entre les sociétés pour s’ouvrir l’esprit et définir ce qu’est l’homme. Il faut encore aller plus loin et comparer les sociétés humaines aux sociétés animales pour comprendre que nous sommes une espèce particulièrement originale sans doute mais pas le sommet de la Création, un être parfait qui doit être radicalement séparé du reste de la nature et opposé aux autres êtres vivants qu’il doit asservir. L’écologie, l’éthologie et l’évolution montrent au contraire que nous sommes « en danger de progrès » en voulant surexploiter la nature et les animaux. Dans mon livre, je montre qu’un chien, un chat ou un homme ne peut être compris dans son comportement actuel que par sa fonction ancienne dans la nature qui est difficile à retrouver chez nos deux animaux domestiques et encore plus chez l’homme, une espèce qui s’est « autodomestiquée » pour reprendre le mot de Konrad Lorenz… Les gens cultivés ont admis que nous étions génétiquement à peine différents des chimpanzés comme le prouve la biologie moléculaire, mais j’essaie de leur montrer dans ce livre que nous sommes plus proches encore psychologiquement du chien, descendant direct du loup, parce que, pendant 95% de notre existence humaine (10.000 ans /200.000 ans), nous avons occupé le même mode de vie de prédateur en groupe de grosse proie ce qui nécessite la coopération, l’entraide, l’altruisme… C’est ce que l’on nomme en biologie une « convergence », au même titre que l’aile de la chauve-souris, de l’oiseau et de l’insecte répond aux mêmes contraintes évolutives alors que ces espèces ne sont pas apparentées. Comparer un homme à un loup ou un chien est plus dérangeant pour notre orgueil que vouloir parler avec des martiens qui n’existent pas, mais c’est autrement fructueux pour comprendre ce qu’est notre espèce extraordinaire, seul primate qui occupait une niche écologique de chasseur en bande de gros gibier et qui a été façonnée par ce mode de vie, même si cela nous parait aujourd’hui bien loin.
Anthropomorphisme, anthropocentrisme : d’après vous où se trouve l’équilibre ?
Sans doute, faut-il éviter de prendre les animaux pour des hommes, mais il ne faut pas se servir de cet argument (anthropomorphisme) pour faire du terrorisme intellectuel et empêcher d’établir des comparaisons avec les autres mammifères dont le système hormonal par exemple est identique. Il y a beaucoup plus de choses en commun entre un chat, un chien et un homme que de choses différentes comme l’a montré la neurobiologie. Evidemment sur le plan du développement de cerveau, nous sommes plus sophistiqués que nos deux compagnons, mais sur le plan olfactif, nous sommes des nullités et même sur le plan de la sociabilité, nous sommes inférieurs au chien autrement fidèle en amitié ! Evidemment, comme n’importe quel être vivant, nous avons intérêt à nous placer au centre du monde pour des raisons pratiques d’exploitation des ressources naturelles (anthropocentrisme), mais si on se croit le roi des poissons rouges et que l’on pollue son aquarium, on s’expose à en subir les conséquences avec des catastrophes comme le changement global, la pollution, la désertification et la famine qui commencent en Afrique.
Vous faites parti de la plate-forme scientifique de ProAnima et du fonds Ethicscience pour la promotion des alternatives aux expérimentations animales. A ce sujet, les derniers chiffres parlent de 3032 chiens et 569 chats utilisés dans les labos en Europe…Votre commentaire ?
Je ne suis pas aussi pessimiste qu’avant car je viens d’apprendre aujourd’hui même que la dissection ‑qui est encore obligatoire dans l’enseignement- commence à être remise en cause par les autorités et que le statut de l’animal sauvage dans le code civil va être modifié par le législateur. Je traite ces questions dans deux chapitres de mon livre et je pointe le paradoxe qui fait de notre pays la lanterne rouge de l’Europe en matière de cause animale tout en étant le premier par le nombre d’animaux domestiques… Comme je le disais dans le groupe de travail qui préparait le colloque qui a eu lieu au Sénat en mars dernier sur le statut de l’animal, cette incohérence qui oppose la rue aux élus ne me parait pas tenable plus que quelques mois ou années dans un pays démocratique : il me semble que bien que nous vivions encore au Moyen Age dans ce domaine où notre pays est en retard d’un demi-siècle sur les voisins anglophones et nordiques, nous entrions tout doucement dans la Renaissance !
(Propos recueillis par Arnaud Gavard)