Analyse des nouveaux chiffres sur l’expérimentation animale en France


27 juillet 2016
Muriel Obriet

Muriel Obriet

Muriel Obriet, référente du pôle Expérimentation animale et méthodes substitutives à la commission condition animale d’Europe Ecologie les Verts et membre de Pro Anima analyse pour nous les dernières données relatives aux nouvelles statistiques concernant le nombre d’animaux expérimentés en France.

Le nombre d’animaux est il vraiment en baisse ?
Le nouveau format utilisé pour présenter les données est-il pertinent ?

Muriel répond à nos questions pour y voir plus claire


A propos de l’enquête statistique 2014 (France)

Les nouvelles statistiques sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques en France viennent de paraître. Que nous disent ces nouveaux chiffres ?

En tout premier lieu, il faut noter la croissance considérable du nombre d’animaux utilisés dans le cadre des procédures législatives et réglementaires (tests de toxicité, d’innocuité, d’efficacité et contrôles de qualité des industries chimiques, pharmaceutiques, agro-alimentaires) : le nombre d’animaux utilisés pour cet « objet d’étude » a augmenté de 69%. En 2010, cela représentait environ 25% des animaux utilisés, en 2014 cela en représente plus de 51% ! La répartition s’est totalement inversée par rapport à la recherche fondamentale et la recherche appliquée.

Ensuite, on remarque que 17% des animaux ne proviennent pas de centres agrées et que parmi eux 3% sont nés hors Union européenne. Ce qui signifie que les centres de recherche français importent des animaux dont on ne connaît pas l’origine génétique, les conditions d’élevage, les conditions de transport.

Par ailleurs, le pourcentage d’animaux réutilisés dans les procédures est passé de 0,27% en 2010 à 0,75% en 2014. Les animaux ayant subi ces tortures répétées sont principalement les souris et les rats – on pouvait s’en douter – et… les bovins !

Dans les données à retenir : 161829 animaux ont été soumis à des procédures de classe « sévère » (c’est-à-dire très douloureuses et sans rémission possible) et 100702 à des procédures « sans réveil » (c’est-à-dire des procédures qui ne permettent pas à l’animal de survivre). Sur ce critère nous n’avons pas de point de comparaison car il ne figurait pas dans les statistiques de 2010.

Il semblerait que la Commission européenne ait proposé une nouvelle manière de comptabiliser ces animaux. Est-ce pertinent ou doit-on y voir une action malhonnête destinée à dissimuler une réalité peu glorieuse ?

Il ne s’agit pas d’une nouvelle manière de comptabiliser les animaux (bien qu’il y ait eu une légère modification dans la prise en compte des animaux génétiquement modifiés) mais surtout d’un nouveau format de présentation des données qui ne permet pas de les analyser correctement.

Dans le format de 2010, la répartition des animaux par espèces et par objet d’expérience était détaillée, de même pour la répartition par produits testés (pour les essais toxicologiques), par types de maladies humaines et animales (pour la recherche appliquée), etc. Dans le nouveau format de 2014, les données sont tellement globalisées par « grande catégorie » que l’on ne peut plus en tirer d’information précise.

Le plus aberrant se trouve dans les données concernant les obligations législative et réglementaire : 49% des animaux utilisés pour cette finalité figurent dans une colonne intitulée « autres » c’est-à-dire une colonne pour laquelle l’objet des tests reste indéfini (pour le public tout du moins) ! En 2010, cette catégorie « autres » ne regroupait que 24% des animaux. C’est un non sens statistique : cela revient à dire que l’on ne peut pas classer 49% des données recueillies et donc que les catégories n’ont pas été correctement définies par les instances européennes.

S’il est difficile de parler de malhonnêteté, on peut en revanche nettement évoquer un évident refus de transparence…

Avons nous des raisons de nous réjouir de la baisse apparente du nombre d’animaux utilisés en France ?

Le nombre d’animaux utilisés est passé de 2 200 152 en 2010 à 1 769 618 en 2014 soit une réduction de presque 20%.

Alors bien évidemment nous serions tentés de nous réjouir ! Des milliers de vie de sauvées et tant de souffrances évitées… Beaucoup de souris, de rats et de lapins ont été épargnés, eux qui représentent 60% des animaux de laboratoire et paient le plus lourd tribut à la recherche.

Comment peut-on expliquer cette réduction ? Par l’utilisation de méthodes de réduction (réduction de la taille des échantillons, partage de données, meilleurs outils statistiques…), par une réutilisation plus systématique des animaux dans plusieurs procédures (dont les rongeurs justement) et sans doute par l’utilisation — dans les domaines où elles se sont davantage développées — de certaines méthodes de remplacement (in vitro ou in silico)… Mais seule une réduction due au développement de l’utilisation de ces dernières pourrait être un vrai motif de satisfaction… Or, les données qui sont publiées ne nous permettent pas de répondre à cette question.

Par ailleurs, il est encore difficile de se prononcer sur cette réduction tant que nous ne disposons pas des statistiques européennes car il pourrait être envisageable que certaines procédures aient été exportées (réalisées) dans d’autres états de l’Union européenne.

Y‑a-t-il des points positifs dans ces nouvelles statistiques ?

Le seul point que l’on pourrait qualifier de positif est le fait qu’apparaissent maintenant dans les tableaux les « classes de sévérité » des procédures (le niveau plus ou moins important des souffrances et angoisses provoquées) qui n’apparaissaient pas avant.

Car ces données étudiées sur plusieurs années successives donneront de précieuses indications sur l’efficacité réelle de l’application du principe de « raffinement/optimisation ». Ce qui ne devrait pas empêcher les ONG de se mobliser pour obtenir une révision de cette classification qui ne prend absolument pas en compte la réalité des douleurs physiques et psychiques infligées aux animaux (les lecteurs qui voudraient en savoir plus sur cette classification peuvent se reporter à l’annexe VIII de la directive 2010/63/UE).

Quels sont les animaux les plus utilisés en France et d’où viennent-ils ?

En France, comme partout ailleurs, ce sont les rongeurs qui arrivent en tête des animaux les plus utilisés et tout particulièrement les souris (+ de 48% du total…).

Les poissons deviennent aussi des « modèles » très prisés pour les tenants de l’expérimentation animale (+ de 30% du total).

Mais ont été également utilisés en France en 2014 : 48 528 poulets, 8354 porcs, 1934 moutons, 1898 bovins, 2852 chiens, 629 chats, 444 chèvres, 359 équidés et 1085 primates non humains (cette liste n’est pas exhaustive)…

En termes de provenance, on constate des situations très différentes en fonction des animaux considérés : 99% des lapins, 94% des rats et 80% des souris proviennent de centres d’élevage agrées de l’Union européenne.

Idem pour 93% des poissons, hors « poissons zèbre  (espèce particulière très utilisée en génétique) qui ne proviennent de centres agrées de l’UE que pour 57% d’entre eux.

Pendant ce temps, seuls 20% des poulets provenaient de centres agrées (la plupart étant nés en UE mais dans des centres non agrées).

Plus de 46% des chiens utilisés dans des procédures sont nés dans des centres non agrées et « hors Europe », idem pour plus de 68% des chats.

Il est important de savoir que si la directive européenne de 2010 impose bien aux états membres que les animaux (figurant à l’annexe 1 de cette même directive laquelle ne concerne même pas les animaux dits de “boucherie”) aient été élevés spécifiquement à des fins scientifiques (article 10 – 1) et que les éleveurs, fournisseurs et utilisateurs de l’UE, aient obligation d’obtenir un agrément délivré par l’autorité compétente (article 20 – 1), aucun article n’interdit que les établissements utilisateurs puissent “se fournir” hors de l’UE dans des pays nullement tenus de respecter les exigences fixées par la directive.

Ces animaux subissent la maltraitance avant même d’être utilisés dans les procédures et pour eux aucune obligation fixée aux éleveurs ou aux fournisseurs, aucun contrôle ni inspections…

La raison de ces différences en fonction des espèces apparaît évidente : les coûts de “production” ne sont pas les mêmes donc la filière fait le choix du moindre coût ! Les rongeurs sont très prolifiques et leur élevage n’est pas compliqué… c’est pourquoi une large proportion de ces animaux proviennent de centres agrées (ou non) de l’UE. En revanche il est beaucoup plus économique de se procurer des chiens, des chats ou des chevaux dans les républiques d’Europe de l’Est ou en Asie que de les élever vers l’UE…