Créer une synergie entre laboratoires et proposer aux industriels un catalogue de tests « clefs en main » !
ProAnima :
Professeur Jean-François Narbonne, vous êtes un biologiste, toxicologue renommé. Vous avez bien voulu accepter d’être l’expert scientifique du test de toxicité aiguë sur cellules humaines Valitox®. Expertise décidée après mûre réflexion et démonstration. Votre décision en effet, a été motivée par les possibilités scientifiques innovantes de Valitox®. Développé par le Laboratoire Novaleads, financé par les principales associations Françaises et Suisse de protection des animaux *(1) et coordonné par Pro Anima, Valitox® offre à présent une excellente prédictivité. Vous avez d’ailleurs décidé de l’inclure dans votre protocole de test in vitro sous le nom de Cytox, destiné en particulier à l’industrie huîtrière (conchylicole).
Pouvez-vous nous parler des avancées du test ?
Faisant suite aux derniers articles publiés dans « Nature » d’abord, relayé par « Le Monde » et votre récente interview dans le journal « Sud ouest », à quand le remplacement du test souris par Valitox® et le programme in vitro proposé ?
Valitox®, test biochimique de toxicité aiguë sur cellules humaines en culture, a en effet une excellente prédictivité de la toxicité aiguë chez l’homme qui est de 82% contre 65% pour le test souris ! Il peut donc être un bon candidat au remplacement du test souris in vivo pour la recherche de toxines dans les mollusques. Par rapport à des techniques in vitro déjà existantes, Valitox® permet d’aller vers un usage de routine en haut débit. Son autre intérêt est que sa technique de marquage peut être adaptée à différents types de cellules humaines ou animales.
Si l’on se place d’un point de vue général dans le cadre des méthodes alternatives, un seul test ne peut à lui seul remplacer les tests sur animaux. Il s’agit d’une part de disposer de batteries de tests in vitro pour détecter différents modes d’action comme la génotoxicité ou la reprotoxicité, d’autre part de pouvoir associer ces résultats à des approches de modélisation « in silico ».
Pour revenir au « Programme National Arcachon (PNA) pour l’activité conchylicole » visant à développer des méthodes alternatives pour la recherche de phycotoxines, trois de ces toxines connues ont d’abord été testées avec Valitox® sur deux séries de cellules humaines : cellules intestinales et cellules hépatiques. Les résultats ont montré une bonne prédictivité du nouveau test. De plus, il y a une bonne corrélation entre les résultats obtenus avec Valitox® et ceux obtenus avec des tests plus spécifiques comme le test des COMETES. Ce sont ces résultats que nous avons présentés au congrès de Rome.
Dans la troisième phase du programme, il s’agira de comparer l’aptitude des différents tests in vitro à détecter la toxicité des extraits d’huîtres ayant entraîné la mort des souris. S’il faut se féliciter que le PNA existe, on peut regretter qu’il ait été initié tardivement (on demandait un tel programme depuis 2005) et que son financement soit très limité. Un tel enjeu aurait mérité un programme plus étoffé. Il y a deux ans, Le Rotary Club Arcachonnais avait étudié la possibilité de financer une partie des recherches pour accélérer le lancement du programme. Malheureusement les ressources locales n’étaient pas en rapport avec le coût de la recherche. Il faut savoir que le test souris, né dans les années 1970, avait deux fonctions : (1) Evaluer la quantité de toxines présentes par dosage dit biologique, en absence de technique de dosage disponible par voie chimique (on dosait à cette époque des pesticides, des hormones ou des vitamines par tests biologiques) être un test biologique quand on n’avait pas de dosage chimique : (2) il servait à doser la toxine et à alerter sur la présence d’une toxine inconnue. Aujourd’hui, on sait détecter et quantifier les toxines commues par des méthodes chimiques et on n’a plus besoin du test souris comme dosage biologique. Par contre, on a toujours besoin de tests biologiques pour détecter des dangers non identifiés, d’où la nécessité de disposer d’un test alternatif.
ProAnima :
Compte tenu de ces résultats très positifs, à quand la reconnaissance des tests in vitro dont Valitox®, comme méthodes alternatives ?
Prof. JFN :
En France, tout est plus compliqué. Les corporations et les lobbyings des corps d’état sont très influents et puissants. C’est avant tout une affaire politique. Contrairement aux USA ou la validation des tests alternatifs passent par une commission inter agences, en France tout est centralisé par L’INERIS*(2) qui confisque plus de 80% du budget public pour la validation des tests alors que sont statut est celui d’un EPIC qui lui demande de se financer par l’application de ces tests par les industriels. L’INERIS est donc statutairement en conflit d’intérêt !
Je pense que ce n’est qu’en se regroupant avec les start-up réunissant les tests in silico et biocellulaires et en passant par un grand groupe de taille internationale que l’on pourra obtenir les validations plus rapidement. Les recherches sont toujours longues et coûteuses, les procédés de validations également. Nous manquons cruellement de moyens financiers même si la technique est au rendez-vous.
IL faut noter cependant que certains tests sont utilisés depuis de nombreuses années même s’ils n’ont pas été validés, par exemple les tests de reprotoxicité ou de génotoxicité sur le marché depuis 10 ans !
Pro Anima :
Grâce à la SNDA*(3) et la SPA, a trouvé les financements nécessaires pour participer au Congrès mondial sur les alternatives qui s’est tenu à Rome, vous-même revenez du Congrès ECVAM de Rome, pouvez-nous nous parler de ce congrès sur les méthodes alternatives à l’expérimentation animale et nous en résumer les thèmes et objectifs principaux ?
Prof. JFN :
Il y avait plus de 800 personnes à ce Congrès mondial organisé par l’ECVAM*(4). C’était immense ! Ce fut l’occasion d’échanges et de contacts fort intéressants car toutes les nations avaient envoyé de nombreux scientifiques. La France brillait par son absence ! Seul le groupe l’Oréal figurait en bonne place et défendait nos couleurs !
Christophe Furger responsable R&D du Laboratoire Novaleads a présenté un poster sur Valitox® et la technique a intéressé les chercheurs du groupe l’Oréal ainsi que d’autres scientifiques que nous devons revoir en Octobre prochain. Nous comptons intégrer Valitox® dans un catalogue unique regroupant les approches in vitro et in silico développées par différentes start-up européennes spécialisées sur ces nouvelles méthodes. Les Espagnols viennent de le faire, regroupant certaines provinces comme la Catalogne, l’Andalousie et a Galice, très actives dans ces recherches.
Il s’agit d’avoir une seule porte d’entrée pour un seul catalogue à présenter aux industriels devant appliquer la Directive REACH. Valitox® figurera évidemment en bonne position dans ce catalogue. Nous devrions pouvoir les proposer aux industriels avec un catalogue « clefs en main » !
À Rome, la problématique REACH*(5) a été longuement soulevée. Comme l’a souligné l’article paru récemment dans Nature et relayé dans la presse grand public, par Le Monde notamment, 143 000 molécules ont été préenregistrées au lieu des 100 000 envisagées et 68 000 de ces molécules devront être soumises à des tests toxicologiques contre les 30 000 envisagées au départ, soit plus du double de ce qui avait été prévu ! Ce qui double le prix des tests et en absence de tests alternatifs validés, on devrait utiliser 56 000 000 de rats ! REACH a mis cependant l’industrie chimique devant ses responsabilités et on peut se réjouir que les raisons économiques rejoignent les raisons éthiques.
ProAnima :
Comment résoudre l’équation ?
Une réelle volonté politique européenne va-t-elle se mettre finalement en place ?
Prof. JFN :
L’UE fait la loi, mais il faut dire que l’on a fait tout à l’envers et de façon peu rationnelle, contrairement aux USA : En Europe, on a déclaré : il faut tester l’ensemble des substances chimiques entrant dans l’environnement de l’homme, ce qui était une forte demande sociétale. Mais on ne s’est pas posé la question corollaire mais fondamentale : comment on allait pouvoir les tester ? Dans l’esprit du législateur, peu au fait du domaine toxicologique, il s’agissait d’appliquer les protocoles utilisés pour évaluer les médicaments, les pesticides, les additifs alimentaires… à l’ensemble des substances chimiques commercialisées. Or ces protocoles faisaient appel pour l’essentiel à des études sur animaux in vivo. Les toxicologues ont tout de suite vu l’impossibilité d’une telle tache, mais ils ont été accusés par certaines ONG, de faire le jeu de l’industrie chimique qui renâclait à mettre la Directive en pratique. Or, on voit aujourd’hui que l’application des protocoles traditionnels est impossible et on ne sait pas comment faire pour tester toutes ses substances ! Aux USA en revanche, des millions de dollars ont d’abord été investis dans le développement des méthodes alternatives de test (Toxicology in the 21 st. Century) et ensuite une loi sur l’évaluation des substances chimiques sera promulguée, ce qui semble plus logique !
Cependant en Europe, il y a presque une obligation à valider les protocoles alternatifs et les budgets devraient être mis par les industriels qui en ont besoin. L’UE vient de dégager un budget de 25 millions d’euros via l’ECHA ( European Chemical Agency) et 25 millions par l’Oréal. Une double volonté en urgence voit le jour.
Les agences internationales, L’agence japonaise JACVAM, américaine ICCVAM et européenne ECVAM ont passé des accords de coopération et d’auto reconnaissance. Les industriels souhaitent la reconnaissance mondiale du concept des 3R ( Reduce Refine Replace) devenue incontournables. L’OCDE*(6) coopère également sur le plan législatif et demande pour intégrer de nouvelles méthodes dans ses « guide lines » 3 à 5 ans. L’Organisme Européen ECVAM*( European Center for Validation Alternative Methods) demande actuellement 2 à 3 ans pour une validation… ( Rappelons ici que ces dix dernières années, le centre européen de validations n’a validé que peu de méthodes essentiellement en rapport avec les cosmétiques…)
Il faut fournir le plus rapidement possible des tests à haut débit qui ont l’avantage d’être peu onéreux, rapides, et fiables, pouvant s’appliquer rapidement à tous les produits chimiques.
Valitox® rentre d’ailleurs dans cette problématique. L’ECHA*(8) d’Helsinki chargée des enregistrements des substances dans le cadre de REACH coordonne les agences nationales.
En France, l’AFFSSET*(7) est l’interlocuteur principal de l’ECHA, et vient d’intégrer de BRPC initialement dépendant de l’INERIS.
ProAnima :
Quelles sont selon vous les voies de recherche les plus prometteuses ?
Prof. JFN :
Les techniques adaptables au haut débit.
ot;color : black;”>On est passé du tube à essai aux puits à haut débit et actuellement à très haut débit (1500), on va vers la robotisation qui permet de tester sur 10 types cellulaires en parallèle différents « End points » (reprotoxicité, cancérogénicité, apoptose, stress oxydatif …) avec 15 doses par substance, alors qu’avec les tests in vivo, on testait molécule par molécule !
La pratique du « Read Across » permettant de voir quel est le mécanisme d’action de la molécule en la rapprochant d’une autre est en train de se généraliser et va valoriser les données déjà acquises afin d’éviter l’hécatombe d’animaux comme décrit dans Le Monde…Il faut arriver à présenter « clefs en main » différents programmes in silico et in vitro allant jusqu’aux techniques « omique » (génomique, protéomique, métabolomique).
ProAnima :
Que penser justement de ces nouvelles techniques de protéogénomique et toxicogénomique par exemple ?
Prof. JFN :
Ce sont des techniques complémentaires très intéressantes mais nécessitant encore une dizaine d’années de recherche.
ProAnima :
Les toxicologues se mettent-ils à l’in vitro ?
Prof. JFN :
Il ne reste pas beaucoup de toxicologues en France car on a supprimé de nombreux laboratoires de toxicologie. Après 20 ans d’éradication de la toxicologie des universités et des organismes de recherche, on essaye de recréer des pôles de toxicologie, souvent de façon totalement artificielle comme dans le cas du projet « Rovaltin ». Dans ces centres, on travaille beaucoup sur des cultures cellulaires, mais les tests in vivo sont encore utilisés.
ProAnima :
Pour conclure quels sont vos prochains objectifs, vos espoirs pour le développement et la validation des protocoles de tests alternatifs aux tests sur les animaux ?
Prof. JFN :
Les mécènes ont un rôle important pour faire reculer en France les blocages politiques. Pour une fois, l’argent privé est important et il ne s’agit pas de soutenir des copains mais des recherches pertinentes et scientifiquement irréprochables. Ce peu d’argent est la goutte d’eau qui peut faire avancer les recherches et inverser les tendances. En s’entourant d’un certain nombre d’experts indépendants et avec un minimum de moyens indispensables, nous aurons les soutiens nécessaires. Nous avons le savoir faire. Le procédé de validation va s’accélérer du fait de la demande européenne.
Le soutien des associations de protection des animaux, notamment pour Valitox®, est une donnée importante pour développer une recherche éthique pertinente pour les humains.
ProAnima :
Professeur, merci !
Vous nous donnez plus qu’un espoir, des directions pour persévérer dans nos objectifs de santé publique au bénéfice de tous : humains, nature et animaux !