une tribune par André MÉNACHE
Notre société est devenue complice involontaire d’un blanc-seing pour l’utilisation d’animaux dans la recherche fondamentale, autrement dit la curiosité scientifique. Peu importe la souffrance infligée aux animaux dans les laboratoires et peu importe le résultat en termes de coût (souffrance animale réelle) versus bénéfice (avancées médicales promises). Est-ce une critique trop lourde ? Jugez-en par vous-mêmes au vu de quelques exemples.
Les microcèbes sont de petits primates lémuriens de Madagascar, pesant au maximum 90 grammes. Dans des laboratoires français, une trentaine de ces animaux ont été privés de sommeil pendant 8 heures consécutives dans ce qui correspond normalement à leur période de sommeil le plus profond. Conclusion de l’étude : « La privation du sommeil diminue la capacité de mémorisation mais pas l’apprentissage chez les microcèbes.
Dans une autre étude, douze microcèbes ont subi des injections de matériel issu du cerveau humain dans le but de provoquer des pathologies liées à la maladie d’Alzheimer. Tous les animaux ont été mis à mort à la fin de l’étude afin d’examiner leurs cerveaux. L’association Antidote Europe a consulté un professeur de neuropathologie, spécialiste de la maladie d’Alzheimer chez l’homme. Il a déclaré : « Ce que ces chercheurs ont démontré est que si vous traumatisez le cerveau d’un microcèbe et que vous injectez du tissu étranger contenant des protéines, vous allez dégrader sa cognition. Ces cerveaux endommagés de microcèbes ne ressemblent pas à la pathologie humaine observée chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ».
Le public ignore ce genre d’expérimentation animale mais, même s’il en avait connaissance, serait-il en mesure de la remettre en question ? Après tout, les chercheurs nous assurent que la recherche animale française est parmi les plus exigeantes et est conduite dans le strict respect du droit européen et du droit français. Peut-être bien. Mais ce droit protège-t-il réellement les animaux ? Déjà les chiffres sont alarmants. Pour l’année 2017, selon les données officielles du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 1 914 174 animaux ont été utilisés dans des procédures expérimentales autorisées. Rajoutons les 2 119 205 animaux non utilisés dans des expériences mais qui ont pourtant bien été élevés et détenus à des fins de reproduction, produits en “surplus”, ce qui fait plus de 4 millions d’animaux au total1.
On nous assure que tous les protocoles de recherche sont validés par des comités d’éthique « indépendants », placés sous le contrôle du ministère de la Recherche et du ministère de l’Agriculture et rendus obligatoires par la directive 2010/63/UE (relative à l’utilisation des animaux à des fins scientifiques). Ces comités d’éthique veillent notamment à la bonne application de la règle des « 3R » (réduction, raffinement et remplacement de l’utilisation d’animaux par des méthodes dites “alternatives” autant que possible)2. Les protocoles d’expériences sur les animaux sont suivis et encadrés par des vétérinaires. Mais à y regarder de plus près, les comités d’éthique français sont parmi les plus « libéraux » de l’Union européenne en termes d’approbation des demandes qui leur sont soumises par les chercheurs. Sur 3708 projets soumis, la totalité a été approuvée. La France n’est pas le seul pays européen à afficher ce taux de rejet absolu de 0% mais elle est en dessous de la moyenne européenne de 2,3%3.
On note également un déséquilibre flagrant dans la composition des comités d’éthique. La représentation de la société civile y est très minoritaire, voire symbolique alors que c’est largement grâce aux contribuables que les expériences sur des animaux sont financées. Ayant siégé au sein de comités d’éthique en Europe, je me suis très vite aperçu du dysfonctionnement intrinsèque de ces organismes. Par exemple, si je demandais au chercheur de fournir des preuves que son modèle animal (en l’occurrence le rat) était un modèle biologique pertinent pour l’homme, on me répondait que je dépassais ma mission en tant que membre du comité d’éthique. Quid de l’esprit critique en science ?
Pourtant des solutions existent pour faire évoluer la recherche fondamentale et la recherche biomédicale. D’abord, il faut permettre à la société civile de siéger au sein des organismes en charge d’allouer les subventions, et ce au moins à parité avec les chercheurs. Parmi ces représentants de la société civile, pourraient figurer des scientifiques proposés par les associations de protection animale. Ensuite, la parité doit s’appliquer également à la composition des comités d’éthique. Enfin, au moins la moitié des fonds octroyés à la recherche biomédicale devrait aller aux technologies de « remplacement absolu » de l’animal pour accélérer la fin d’un paradigme qui appartient au 19ème siècle.