La pandémie du coronavirus appelé COVID-19 est une occasion inédite pour réévaluer profondément notre stratégie classique de recherche médicale et de prévention. Face à ce tsunami viral, les chercheurs n’ont pas eu le temps de faire leurs démarches habituelles, la première étant de trouver une ou plusieurs espèces animales devant servir de « modèle » pour étudier le cycle d’infection et les pathologies induites dans le but de trouver des traitements et éventuellement, de développer un vaccin.
Dans le cas de la grippe saisonnière, les médecins sont dotés de moyens bien connus pour baisser le taux d’infections, comme les vaccins et des médicaments antiviraux qui peuvent diminuer l’importance des symptômes et la durée de l’affection. Mais face à la « force majeure » imposée par le COVID-19, les médecins-chercheurs ont décidé de tester des traitements novateurs directement sur les patients. À l’heure actuelle, il ne s’agit pas de molécules qui n’ont jamais été testées mais plutôt de médicaments utilisés pour d’autres maladies, ou encore de différentes combinaisons de médicaments déjà sur le marché.
Ce genre d’expérimentation sur l’homme est appelé « essai clinique ». Son but est d’évaluer l’efficacité d’un traitement suite à l’approbation des comités d’éthique et au consentement éclairé du patient. Le Comité international des rédacteurs de revues médicales en donne la définition suivante : « Tout projet de recherche qui affecte de façon prospective des sujets humains à des groupes d’intervention et de comparaison afin d’étudier la relation de cause à effet entre un acte médical et l’évolution d’un état de santé ».
Un essai clinique est normalement précédé de plusieurs étapes dites « précliniques » pour évaluer la toxicité et l’efficacité d’un nouveau traitement. L’une de ces étapes consiste en des tests sur des animaux. Cette exigence réglementaire est inscrite dans le Code de Nuremberg depuis 1947 et dans les lois nationales et internationales qui en ont découlé. Pourtant, selon la haute autorité de sécurité sanitaire aux Etats-Unis, la FDA, sur dix médicaments ayant passé avec succès les tests requis sur des animaux, neuf échoueront au cours des essais cliniques impliquant des humains (par absence d’efficacité ou présence d’effets secondaires non identifiés chez les animaux), soit un taux de fiabilité de 10 %.
En l’occurrence, des chercheurs impliqués dans la course contre la montre pour trouver un vaccin contre le COVID-19 reconnaissent eux aussi que les tests sur animaux sont peu fiables pour prédire les réactions humaines. Citons-en quelques-uns. Selon Tal Zaks, directeur médical de Moderna, une entreprise performante dans le secteur des vaccins aux Etats-Unis, “Je ne pense pas … que le modèle animal soit la bonne voie pour procéder à un essai clinique” (1). Barney Graham, directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) également aux Etats-Unis constate que « Les souris classiques de laboratoire n’attrapent pas ce nouveau coronavirus, comme le font les humains …» (2). Enfin, Karen Maschke, rédactrice en chef de la revue Ethics & Human Research, a souligné le fait que les études animales sont souvent de mauvais prédicteurs de ce qui sera efficace chez les humains (3).
Certes, fabriquer un nouveau vaccin n’est pas sans risque. C’est la raison pour laquelle il faut utiliser des technologies basées sur des preuves, comme le démontre la médecine et la vaccination « personnalisées ». En effet, les médecins et chercheurs constatent, grâce aux données issues des patients, que nous ne sommes pas tous égaux quant au risque d’infection par ce virus. Pourquoi les enfants sont-ils beaucoup moins sensibles que les personnes âgées par exemple ? Par conséquent, les informations cliniques qui s’accumulent constituent les meilleures données pour développer des traitements et éventuellement des vaccins personnalisés, c’est-à-dire plus ciblés pour chaque individu, plus efficaces et avec moins d’effets secondaires que les traitements classiques.
C’est ainsi l’occasion de se débarrasser du « modèle animal », un paradigme appartenant au 19ème siècle, et de se focaliser sur l’espèce concernée, l’homme. Essayer de reproduire une maladie humaine chez un animal est une aberration scientifique, un mépris et une méconnaissance du système complexe que nous sommes et des différents systèmes complexes qui constituent notre organisme, tel que le système immunitaire. Chaque espèce animale est un système complexe ne pouvant servir de modèle pour une autre. Déjà parmi les humains, il existe d’importantes différences entre enfant et adulte, homme et femme, quant à la sensibilité au COVID-19. Plutôt que de manipuler furets, macaques ou souris, il serait plus utile — car plus conforme à la rigueur scientifique — d’investir dans des technologies performantes du 21ème siècle.
Parmi celles ayant fait leurs preuves, citons le dispositif in vitro appelé « MIMIC » (Modular IMmune In vitro Construct). Il s’agit d’une modélisation in vitro du système immunitaire humain et permet, avant les essais cliniques chez l’homme, de sélectionner les meilleurs produits candidats de façon plus précoce et pertinente que par l’utilisation de modèles animaux (4). « Les informations que vous obtenez de ce type de test sont bien au-delà de ce que vous obtiendriez d’une étude sur la souris », explique Michael Rivard, vice-président du développement de l’entreprise chez VaxDesign, « à la fois parce que ce sont des éléments du système immunitaire humain et parce que vous pouvez voir l’effet à travers un spectre de génotypes « (5).
Cependant, les technologies in vitro (comme le MIMIC, les « organes sur puce » et bien d’autres) doivent, pour être acceptées au niveau réglementaire, viser un taux de fiabilité de 85 à 90 %… alors que, rappelons-le, le “modèle animal” n’est fiable qu’à 10 % selon la FDA. Une stratégie basée sur une batterie de tests in vitro à partir de matériel humain aurait bien davantage de pertinence que la poursuite de tests sur animaux. Il est temps de changer de paradigme si nous souhaitons préserver notre santé face aux maladies émergentes du 21ème siècle. Le COVID-19 aurait-il au moins le mérite d’amener à remettre en question des pratiques expérimentales peu fiables et les réglementations obsolètes qui les imposent encore ?
André Menache
Références :