Une équipe de Lausanne a reproduit, en laboratoire, un sentiment de présence comparable à une impression de fantôme. Ceci est bien de la science et non de la fiction !
Une incroyable illustration de ce que peut produire l’intelligence humaine lorsqu’il n’est pas possible de réaliser, sur des animaux, une expérience spécifique.
L’article publié dans le Monde du 8 novembre dernier cite en préambule l’expérience du grimpeur Reinhold Messner qui, en juin 1970, en redescendant le mont Himalayen Nanga Parbat en compagnie de son frère, ressent alors le sentiment qu’il y avait un troisième grimpeur avec nous, un peu sur ma droite, quelques pas derrière moi, juste en dehors de mon champ de vision.
Une sensation étrange rendue possible à cause des conditions extrêmes.
En 2006 l’équipe d’Olaf Blanke, neuroscientifique cognitif de l’Université de Genève avait observé les fonctions du cerveau d’un patient épileptique lorsque quelque chose d’étrange se passa : à chaque fois qu’il stimulait la région du cerveau responsable de l’intégration des signaux sensoriels du corps, le patient regardait derrière comme si quelqu’un s’y trouvait, tout en sachant très bien que personne n’était là !
Aujourd’hui, à l’aide de nouvelles observations et la création de robots, Olaf Blanke et son équipe ont découvert non seulement une explication neurologique à ces illusions mais également un début d’explication à certains symptômes de la schizophrénie. Des malades qui souvent ressentent l’illusion que leurs mouvements sont contrôlés par une autre force.
Il est difficile d’expliquer et de comprendre les mécanismes impliqués dans un symptôme si étrange
affirme le neuroscientifique Henrik Ehrsson de l’institut Karolinska de Stockholm. Et aucun modèle animal de laboratoire ne pourra jamais mimer un tel phénomène.
La force de l’observation, la puissance des robots
Si les apparitions et les histoires de fantômes sont des légendes culturelles, il s’agit également d’un ressenti bien réel pour les patients souffrant d’épilepsie et de schizophrénie : en étudiant de tels patients, Blanke a découvert que cette sensation de présence était très commune. Pour découvrir les régions de cerveau responsables de ces illusions, les scientifiques ont comparé les dommages au cerveau de deux groupes de patients. Le premier composé d’épileptiques dont tous ressentaient cette présence de fantômes. Le deuxième groupe avait les mêmes dommages au cerveau mais ne ressentait pas cette présence.
Les chercheurs ont donc pu identifier la zone du cerveau responsable de ce symptôme si particulier.
Par la suite l’équipe a imaginé un robot afin de vérifier leur théorie sur des patients sains.
Deux bras articulés et interconnectés installés l’un devant et l’autre derrière le patient. En mettant son index à un endroit spécifique du robot, le patient pouvait contrôler le bras se trouvant derrière lui pour recevoir une tape dans son dos coordonné au mouvement du doigt.
Pendant l’expérience le patient avait les yeux bandés et portait un casque afin de se concentrer exclusivement sur le ressenti. Par la suite les chercheurs ont ajouté une discordance temporelle c’est-à-dire que le robot reproduisait les mouvements dans le dos avec un décalage d’une demi-seconde. Assez pour perturber les sujets de l’expérience qui avaient alors l’impression qu’une troisième personne lui touchait le dos. Certains, perturbés, ont même demandé à quitter le protocole !
Pour la plupart d’entre eux ce sentiment n’était pas aussi violent que chez des sujets malades précise Blanke, et il disparaissait quand l’expérience s’interrompait.
Pour Giulio Rognini, du département de neurosciences cognitives de l’EPFL
Notre cerveau possède plusieurs représentations de notre corps. Dans des conditions normales il est capable de les rassembler en une perception unitaire de nous-mêmes. Mais lorsque le système dysfonctionne, par maladie, ou par robot, une deuxième représentation est parfois induite et n’est pas ressentie comme « moi » mais comme autrui, comme une présence.
L’importance d’être créatif
Un autre robot à résonnance magnétique devrait voir le jour bientôt afin d’étudier plus précisément ce qui arrive dans le cerveau d’un patient sain ressentant la présence d’un fantôme ou encore afin de tester le comportement d’un patient schizophrène. Un grand espoir pour les malades car si on arrive à comprendre comment apparaît un tel symptôme, alors le faire disparaître pourra être envisageable.
Cela nous démontre aussi que lorsqu’il n’est pas envisageable de créer de soi-disant modèle animaux pour des pathologies aux symptômes aussi sophistiqués, alors tout est possible dans l’imagination des chercheurs. L’observation sur patients n’est rien d’autre qu’une expérimentation sur humain, réalisée de manière éthique, avec consentement. Elle est également pertinente car se consacre avant tout à l’espèce concernée.
AG
(Article paru dans notre bulletin Sciences, Enjeux, Santé n°75 — décembre 2015)